Un remède de cheval

Publié le par Julie Wasselin

Théodore Géricault (1791-1824)  Tête de cheval d’après Antoine-Jean Gros (Bataille d’Aboukir)

Théodore Géricault (1791-1824) Tête de cheval d’après Antoine-Jean Gros (Bataille d’Aboukir)

 Une fièvre de cheval n’est pas une galéjade, c’est même spectaculaire, mais rien ne l’est plus encore que de voir à quelle vitesse le malade s’en remet.

À peine a-t-il cessé d’être mourant qu’il galope déjà !
 

En ce temps-là, mon vieux pur-sang avait chopé une épouvantable bronchite. Une toux caverneuse ébranlait le voisinage tandis que les monstrueux glaviots projetés sur les parois de son box et qui dégoulinaient lentement me soulevaient le cœur.
Tremblant, fiévreux, le pauvre animal s’arrachait les tripes et les frictions de térébenthine[1] dont je badigeonnais son encolure lui enflammaient l’épiderme plus qu’elles ne le soulageaient.
Devenant fou, il s’arrachait la peau contre les murs.

 

Je travaillais alors dans l’industrie pharmaceutique et j’avais dans mon arsenal une potion destinée à guérir les sinusites et les bronchites.
Pour avoir joué les cobayes avec succès, je ne doutais ni de son efficacité ni de son excellente tolérance. Je ne dirais pas cela de tous les produits qui sont sur le marché… mais celui-là, c’était un « vrai-bon » !
Je me convainquis de lui en donner.
Pour mon gabarit, trois gélules par jour pendant dix jours étaient nécessaires. Pour lui, qui pesait dix fois plus, il fallait donc en donner trente, soit une boîte par jour. Possédant quantité d’échantillons en réserve, dix boîtes feraient l’affaire sans que je vienne à manquer.
Matin et soir, puisque j’étais absente le midi, et ce pendant dix jours, je mélangeais quinze gélules dans sa ration de granulés.
Il aurait pu les bouder. Les chevaux, du bout des lèvres, savent très bien faire le tri, mais il me fit la grâce de les avaler.
- Brâaave… gentil cheval.

À une vitesse impressionnante, mon vieux pur-sang retrouva la santé.
Dix jours plus tard, j’étais en selle et nous nous baladions au pas, gentiment, rênes à la couture, loin du monde dans une forêt dont je garde le secret pour qu’on ne vienne pas me l’abîmer.

Un an plus tard, sur mon secteur, la vente de ce produit avait explosé.
Ça n’avait pas été difficile puisque je racontai notre histoire à tous les médecins que je visitais… ça valait tous les argumentaires et ça les amusait.
Ça les interpellait aussi :
- Pensez donc, un remède de cheval… ça vous requinque forcément un bonhomme en moins de deux.

 

[1] Longtemps, ce révulsif fut le seul traitement.

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