1976… à ceux qui n’ont pas connu

Publié le par Julie Wasselin

Si vous vous en souvenez, vous avez au moins 65 ans…

Si vous vous en souvenez, vous avez au moins 65 ans…

En 1976, il ne tomba pas une goutte d’eau sur le centre de la France pendant six interminables mois. Le ciel était inexorablement bleu, et rien que d’ouvrir l’œil chaque matin sur cet azur impitoyable mettait les nerfs à vif. La chaleur était insoutenable ; oui, ce n’est pas nouveau…

Deux fois par jour, il fallait descendre au village emplir la tonne, car l’eau ne montait plus jusqu’au club, et, quand les chevaux, martyrisés par les mouches, d’un geste maladroit renversaient leur seau, c’était la haine, carrément. Les clients venaient tôt le matin ou tard le soir, mais il n’y avait aucun répit, en fait, parce que des touristes passaient qui voulaient absolument aller se promener dans la journée. Égoïstes ou inconscients. Quand s’élevaient les protestations de ceux qui aimaient les chevaux, le moniteur rétorquait :

- Et alors ? Faut bien qu’ils payent leur bouffe, hein ? Ça existe, si, si… car on ne peut pas accrocher les chevaux comme des vélos au plafond d’un garage… parce qu’il faut impérativement « rentrer des sous » dans un club… nourrir, ferrer, vacciner, vermifuger, puis croiser les doigts pour qu’on n’ait pas de coups de sang, des coliques, des blessures, etc, etc.

Quand ils revenaient de « balades », les pauvres étaient couverts de poussière, trempés, poisseux… ils avaient si triste mine qu’on aurait voulu, pour les soulager, porter ces clients-là sur son propre dos. Chaque jour, on crésylait les écuries, et chaque soir, après le pansage, on posait des bandes de repos sur des linges imbibés d’eau blanche.

Il n’y avait pas eu de foin. Non… rien ! De grains, n’en parlons pas. Nourrir les chevaux consistait à s’arracher les cheveux. Il fallait aller loin dans le Nord pour trouver quelque chose à prix d’or et les fermiers gardaient le peu qu’ils avaient encore pour leur bétail, c’était normal. Rendons cependant hommage à la Solidarité Agicole qui se mit en place en ce temps-là.

Le soleil avait le visage de la mort et les prés n’avaient plus de prés que le nom. À perte de vue, on ne voyait que la terre, craquelée, cramée, calcinée, nue. Les chemins aussi étaient pelés, parce qu’on y avait mis les vaches afin que rien ne se perde. Elles mangèrent les branches basses, et les haies ; leurs mamelles se tarirent, et, nous regardant de leurs yeux immenses, ne comprenant pas dans quel enfer ils étaient tombés, les veaux n'eurent plus sur les os qu'une peau qui pendait comme une toile de tente effondrée sur des piquets… les animaux souffrent en silence, et c'est pire que tout.

 Enfin, ce fut le 15 août, en 1976… et ce fut le jour du miracle. Comme en Inde on accueille la mousson avec une allégresse mêlée d'un indescriptible soulagement, c’est avec un bonheur sans mélange que nous vîmes soudain le ciel s’obscurcir et d’énormes gouttes d’eau frapper le sol agonisant.

 - Il pleut ! Ce fut un déluge, des cataractes d’eau… Nous nous roulâmes dedans… sauvés Le cauchemar prit ainsi fin… et nous croisâmes les doigts pour que cela ne se reproduise jamais.

Jamais ?

Gavée d’eau, la terre reprit ses droits et les prés reverdirent, drus, serrés, épais comme on les voit rarement. Aux portes de l’automne, la providence nous offrit un printemps.

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