Entre deux barottes de fumier

Publié le par Julie Wasselin

" Le paysan rentrant du fumier " 1855-1856. Jean-François Millet

" Le paysan rentrant du fumier " 1855-1856. Jean-François Millet

Il ne faut pas désespérer de l’existence.
 Les choses les plus surprenantes peuvent arriver.
Les chevaux sont rentrés, il fait un temps de chien. Le brouillard a rétréci l’horizon.  Un silence aussi mortel que l’ennui s’est abattu sur le pays.  Chacun se terre chez soi, mais tout cela n’empêche pas qu’il soit l’heure d’aller curer les boxes, d’aller « faire le fumier ».
Dans la vieille écurie, une chaude odeur de crottin chatouille délicieusement mes narines.  Un bruit de paille froissée, un clapotis dans l’abreuvoir enchantent mon cœur.  La fourche à la main, j’entretiens le cal protecteur qui dépare mon pouce de femme de cheval.  Elles sont sacrément lourdes les fourches, mais ça réchauffe !  Patiemment, je monte d’énormes brouettes au carré, puis je les tire de l’autre côté de la ferme, jusqu’à la fosse à fumier. C’est dur, et là, sur le verglas, soudainement je dérape et me retrouve allongée dessous !  La chute m’a coupé le souffle mais heureusement, la barotte n’a pas versé.
Comme je me relève, j’entends le téléphone s’agiter.

C’est un concurrent.
 Du genre à s’incruster, et d’un lourd...
Les juges de la Fédération Équestre dont je suis, ont leur lot de flatteurs et de fâcheux.
Lui ne me lâche pas.
 
Il m’explique qu’il est de passage et qu’il va s’arrêter me saluer.
Chic alors !

- D’accord, mais pas longtemps... je suis en plein fumier, j’ai du monde ce soir, je suis débordée, je vous accorde dix minutes.

À peine ai-je le temps de m’ébrouer qu’il est là.

Il se carre dans un canapé et attaque d’emblée :

- Voilà... je ne peux plus supporter ma femme, je divorce, elle ne manquera de rien... je suis à l’aise, quoi.

S’ensuit l’énumération de ses biens.

- Si ça vous tente... je vous le dis tout de suite, moi, à part mes poneys et la télé, y’a rien qui m’intéresse.

Je me suis assise, quand même, bouche bée.

Comme je ne réagis pas, il conclut :

- Je vous rassure, je ne vous empêcherai pas d’aller en concours.
J’arrive alors à articuler :

- C’est gentil.

- Bon, je m’en vais.  Je vous téléphone, et si c’est d’accord, je viens passer le prochain week-end avec vous.

Je suis retournée à ma brouette, sidérée.

Vraiment les hommes ne doutent de rien.

Il a téléphoné.

Je vous laisse deviner la réponse que je lui ai donnée.

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H
Magnifique, c'est tout toi... J'adore la concision si précise de "La vie"!
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